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Commentaire d’arrêt rendu par la  Cour de cassation, Troisième chambre civile le 29 juin 2022, publiée au bulletin : Civ. 3e, 29 juin 2022, n° 21-17.502

Thèmes : Protection de la nature et de l’environnement // Installations classées // Obligation de remise en état du site // Garanties des vices cachés // Responsabilité du coût de la dépollution résultant d’un changement d’usage // 

Par principe, le dernier exploitant d’un site industriel a l’obligation de procéder à des travaux de dépollution des sols pour les remettre en état et ce, notamment lors de la vente du site. La question de la prise en charge des frais de dépollution entre vendeur et acquéreur est une question cruciale lors de la cession d’une ICPE. Un arrêt de la Cour de cassation rendu le 29 juin 2022 clarifie la question portant sur la responsabilité des travaux supplémentaires de dépollution d’une installation classée vendue en cas de modification ultérieure de son usage.  Notre analyse : 

Points essentiels à retenir : 

  • responsabilité des coûts de travaux de dépollution : le dernier exploitant d’une ICPE sur lequel repose une obligation légale de remise en état du site pollué, n’est pas responsable des coûts de travaux de dépollution supplémentaire obligatoire en cas de modification ultérieure de l’usage du site par un tiers acquéreur. En effet, l’acquéreur d’un site pollué est responsable des coûts de dépollution s’il est à l’origine d’un changement d’usage du site ;
  • garantie des vices cachés : le délai de deux ans dans lequel l’action en garantie des vices cachés doit être intentée court à compter de la découverte du vice dans son ampleur réelle. La connaissance du vice n’est pas conditionnée par la connaissance du coût des travaux nécessaires pour y remédier. 

Rappel des faits et procédure 

Il convient tout d’abord de préciser que les faits se rapportant à la présente affaire sont antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (dite « loi ASAP »). Cette loi a en effet modifié les dispositions du code de l’environnement relatives à la cessation d’activité des installations classées pour la protection de l’environnement. Cependant ladite loi ainsi que son décret d’application n° 2021-1096 du 19 août 2021 n’ont pas modifié les dispositions relatives au changement d’usage des sites pollués remis en état.

La société SH2, propriétaire d’un groupe d’immeubles, exploitait un fonds de commerce de fabrication de peintures et de savons industriels sur un des sites, activité relevant de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

Après la vente de son fonds de commerce dont l’activité a été transférée sur le site de l’acquéreur, en 2008, la société SH2 a été mise en demeure par arrêté préfectoral sur le fondement des articles R. 512-75 et R.51274 du code de l’environnement de (i) proposer un usage futur du site ainsi (ii) qu’un échéancier de mise en sécurité. 

En 2009, la société SH2 a obtenu un permis de construire et a mandaté la société Socotec pour effectuer une évaluation quantitative des risques sanitaires (EQRS) remise en 2010, le plan d’occupation alors en vigueur affectant des sols de la zone à l’activité industrielle et commerciale.

Puis en février 2011, la société SH2 vend l’ensemble de ces immeubles à 3 autres sociétés. L’acte de vente mentionne précisément que ces biens seraient à usage de bureaux, d’atelier et de stockage, « que cet usage est autre que d’habitation » etc.. Étant précisé que « l’acquéreur faisant son affaire personnelle de la mise aux normes nécessitée par un changement de destination de tout ou partie de l’immeuble ». 

Ces 3 sociétés vendent, à leur tour, les biens immobiliers à une SCI après l’adoption d’un nouveau plan d’urbanisme rendant possible l’usage exclusif du site en logements. 

En sa qualité de dernier acquéreur, la SCI a assigné (I) la société SH2 en paiement de dommages et intérêts pour refus de dépolluer le site, (II) les 3 sociétés venderesses pour violation de l’obligation de délivrance conforme et de la garantie des vices cachés et enfin la société Socotec pour erreur manifeste d’appréciation des risques sanitaires. 

  • La responsabilité des travaux de dépollution d’un site pollué

L’acte initial de vente de février 2011 prévoyait une clause importante qui stipulait que « Si dans le cadre du permis de construire du 5 octobre 2009 susvisé, il s’avérait que contrairement aux conclusions du rapport SOCOTEC du 21 mai 2010 ci-annexé, une dépollution était nécessaire, le vendeur s’engage à supporter les coûts de cette dépollution qui seraient supérieurs à deux cent mille euros hors taxe (200 000 € HT), l’acquéreur faisant son affaire personnelle des coûts inférieurs à cette somme ».

La SCI demanderesse invoquait cette clause pour engager la responsabilité de la société SH2, dernier exploitant d’une ICPE, débitrice selon elle, d’une obligation de remise en état supplémentaire du site. La SCI souhaitant ainsi faire peser la charge des coûts des travaux de dépollution supplémentaires sur ce dernier alors qu’un changement ultérieur de l’usage du site avait été effectué (industriel – habitation).  

La Cour de cassation rejette ce moyen en jugeant que :

« 10. L’article R. 512-394 de ce code dispose, en son deuxième alinéa , qu’en cas de modification ultérieure de l’usage du site, l’exploitant ne peut se voir imposer de mesures complémentaires induites par ce nouvel usage, sauf s’il est lui-même à l’initiative de ce changement d’usage.

  1. Il en résulte que, si le dernier exploitant a rempli l’obligation de remise en état qui lui incombe, au regard à la fois de l’article L. 511-1 du code de l’environnement et de l’usage futur du site défini conformément à la réglementation en vigueur, en l’espèce un usage déterminé avec le maire de la commune, le coût de dépollution supplémentaire résultant d’un changement d’usage par l’acquéreur est à la charge de ce dernier ».

En l’espèce, le nouvel usage du site souhaité par la SCI dans sa demande de permis de construire de 2011 ne correspondait pas à l’usage prévu par le permis de construire de 2009 obtenu initialement par la société SH2. 

La Cour en déduit que la société SH2 n’avait pas manqué à ses obligations légales de remise en état du site conformément à l’article L. 511-1 du code de l’environnement et à son usage futur validé par la mairie. 

  • Point de départ du délai de la garantie des vices cachés 

Sur le fondement de la garantie des vices cachés, la SCI souhaitait engager la responsabilité des 3 sociétés qui lui ont vendu le site. 

Pour mémoire, la garantie des vices cachés prévue à l’article 1641 du code civil dispose que « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus ». 

Le point de départ du délai de prescription de deux ans fait l’objet de nombreux débats judiciaires autour de la qualification de la « découverte du vice ». En effet, l’article 1648 du code civil prévoit que : « l’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ». 

Or, au cas présent, la Cour de cassation rejette le moyen en jugeant que le point de départ du délai de prescription de la garantie des vices cachés a commencé à courir à compter du diagnostic approfondi de pollution demandé par la SCI lors de la vente. Date à laquelle elle a découvert l’ampleur de la pollution au regard du nouvel usage (habitation) souhaité. La connaissance ultérieure du coût réel des travaux ne qualifie pas juridiquement la découverte du vice.

La Cour rejette donc le pourvoi de la SCI formé et confirme l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 2 avril 2021. 

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